Cap-Haïtien, 30 août – Grand Hôtel Beck. Dans une salle animée par l’énergie et la curiosité d’une douzaine de jeunes, la quatrième édition spéciale du Youth Haitian Empowerment Exchange Program (YHEEP) s’est clôturée après une semaine intensive de formations et d’échanges. Durant cette période , les participants venus de plusieurs villes du Grand Nord et de l’Ouest ont été logés au Grand Hôtel Beck, transformé pour l’occasion en un véritable campus d’idées et de réflexions. À travers des ateliers, des panels et des discussions participatives, une génération de jeunes leaders a pris conscience de son rôle dans la construction d’un avenir meilleur pour Haïti.
À l’occasion de cette quatrième édition du Youth Haitian Empowerment Exchange Program, ET POURQUOI ? a rencontré Pouchenie M. Blanc, médecin, juriste et directrice exécutive de la Youth Empowerment Organization (YEO).

Cette initiative est portée par la Youth Empowerment Organization (YEO), une organisation à but non lucratif fondée par Love-Kendy Jourdan, expert en droits humains et politique sociale (fondateur et coordonnateur) et Berlensky Léger, informaticien de carrière et formé en Gestion de Petite et Moyenne Entreprises (cofondateur et vice-coordonnateur) , Pouchenie M. Blanc, médecin, juriste (directrice exécutive). YEO s’est donné pour mission d’offrir aux jeunes ce que trop souvent la société haïtienne leur refuse : des outils, une formation et un espace pour rêver et agir. Dans un pays miné par les crises politiques, économiques et sociales, où la jeunesse est fréquemment reléguée au second plan, l’organisation fait le pari que l’éducation peut devenir le moteur d’un changement durable et significatif.
Pouchenie M. Blanc insiste sur cette vision avec conviction : « Haïti a plus que jamais besoin de sa jeunesse, mais une jeunesse bien formée, comprise et outillée. »

Une semaine hors du quotidien
Cette année, le choix de Cap-Haïtien et du Grand Hôtel Beck n’est pas anodin. Alors que les éditions précédentes se tenaient à Jérémie, l’aggravation de l’insécurité a poussé l’organisation à repenser son dispositif. Deux cohortes distinctes ont ainsi été créées, l’une dans le Grand Sud et l’autre dans le Grand Nord. Pour cette dernière, près d’une dizaine de villes étaient représentées. Le Grand Hôtel Beck, partenaire engagé, a mis à disposition ses espaces et accompagné logistiquement le projet, permettant aux jeunes de vivre une semaine entière en immersion, coupés du quotidien difficile pour mieux réfléchir à leur avenir collectif.
« Haïti a plus que jamais besoin de sa jeunesse, mais une jeunesse bien formée, comprise et outillée. »
Pouchenie M. Blanc médecin, juriste et directrice exécutive de la Youth Empowerment Organization (YEO)
Le programme lui-même a été conçu comme une chaîne pédagogique progressive. Chaque atelier, chaque module, venait compléter le précédent. On y a parlé de droits humains et d’instruments juridiques internationaux, de démocratie et de gouvernance, de leadership communautaire et de gestion de projets, sans oublier la communication et la plaidoirie, compétences indispensables à toute action citoyenne. L’approche choisie n’était pas celle d’un enseignement magistral, mais bien d’une pédagogie participative. Les jeunes étaient invités à confronter les concepts aux réalités de leurs quartiers, de leurs écoles, de leurs communautés. L’objectif : transformer la théorie en levier pratique et développer une véritable conscience critique.
Comme le résume en une phrase Berlensky Léger, cofondateur et vice-coordonnateur de l’organisation : « C’est un programme d’échange pour des écoliers, qui leur permet d’aborder des thématiques comme les droits humains, la gestion de projet communautaire, la communication et la plaidoirie. »

Cap-Haïtien, Grand Hôtel Beck — 30 août 2025
Crédit : Et Pourquoi Média
Des résultats concrets malgré les défis
Les résultats, eux, sont déjà visibles. Depuis quatre ans, les anciens du programme – appelés alumni – font vivre l’esprit de YEO dans leurs propres milieux. Certains ont lancé des projets communautaires de sensibilisation et de médiation, d’autres ont remporté des concours nationaux tels que celui de l’Office de la Protection du Citoyen (OPC). Plusieurs ont obtenu des stages au sein d’institutions publiques ou internationales, et certains poursuivent aujourd’hui des études à l’étranger. Cet impact concret, mesuré dans les actions de terrain et dans la trajectoire des jeunes, alimente la détermination des organisateurs malgré les difficultés.
« Nous voyons l’impact à travers l’excellence académique, mais aussi à travers les initiatives communautaires que nos jeunes mettent en place. C’est ce qui nous pousse à continuer malgré les obstacles », confie Pouchenie M. Blanc .
Des voix qui témoignent de l’impact
Au-delà des chiffres et des modules, ce sont surtout les voix des jeunes qui témoignent de la portée du programme. Jehojada Fleuridor, élève au Collège Martin Luther King (CMLK) et originaire du Cap-Haïtien, raconte l’effet transformateur de cette expérience.
« Grâce à ce programme, j’ai pu découvrir et développer ma capacité à mener ou à participer activement à des actions communautaires. À travers les ateliers et les séances d’échanges, j’ai compris que tout ce bagage intellectuel emmagasiné doit servir à l’avancement de la société, par mon implication et ma participation », explique-t-il.
Et lorsqu’on lui demande quel message il voudrait transmettre à ceux qui n’ont pas encore eu accès à ce type d’échange, sa réponse est simple, mais puissante :
« Nous sommes jeunes. Parfois, il est difficile de sortir de sa zone de confort et de participer à des activités constructives. Mais si vous sentez cette petite voix en vous qui vous dit qu’Haïti a besoin de vous, n’attendez pas ! Commencez à réfléchir, développez cette volonté d’agir, et le reste suivra. »
Un autre témoignage, celui de Danielle Vicky Castel, 15 ans, élève au Collège Saint-Gabriel de Lascahobas, vient rappeler la dimension profondément humaine de cette aventure. Pour elle, la politique n’est pas seulement une affaire de pouvoir, mais une promesse : celle de transformer la peur en courage et l’injustice en dignité. Dans ses mots, vibrants et empreints d’espoir, elle raconte avoir trouvé dans le programme bien plus qu’un apprentissage : une famille.
« Même à mon âge, je peux agir, je peux faire une différence. Le leadership, ce n’est pas briller seule, mais marcher avec les autres. À ceux qui hésitent encore, je veux dire : n’attendez pas. Chaque difficulté peut devenir lumière, chaque rencontre peut changer une vie. »
« Grâce à ce programme, j’ai compris que tout ce bagage intellectuel doit servir à l’avancement de la société. » Jehojada Fleuridor, élève au Collège Martin Luther King (CMLK) et originaire du Cap-Haïtien
Un combat contre vents et marées
Pourtant, les défis restent nombreux. L’insécurité prive certains jeunes brillants de l’opportunité de se déplacer jusqu’aux lieux d’échanges. Les ressources financières, elles, restent limitées, obligeant l’organisation à compter sur des concours internationaux, des partenariats ponctuels et surtout sur le soutien des communautés locales : mise à disposition d’espaces, de machines, de temps, d’expertise. De plus, la durée initiale de deux semaines a dû être réduite à une seule, intensifiant le rythme et la charge de travail.
Malgré tout, la conviction demeure intacte. Pouchenie M. Blanc le dit avec une émotion palpable :« Tout ce que je n’ai pas eu comme opportunité, j’ai choisi de l’offrir aux autres. Malgré les crises, je crois qu’il faut continuer à travailler avec et pour la jeunesse. Le changement que nous attendons en Haïti viendra d’elle. »
« Même à mon âge, je peux agir… À ceux qui hésitent encore, je veux dire : n’attendez pas. Chaque difficulté peut devenir lumière, chaque rencontre peut changer une vie. »
Danielle Vicky Castel, 15 ans, élève au Collège Saint-Gabriel de Lascahobas.
L’édition 2025 du Youth Haitian Empowerment Exchange Program n’a donc pas seulement formé des jeunes aux droits humains et à la citoyenneté active. Elle a aussi prouvé, une fois encore, que dans un pays où tout semble vaciller, la jeunesse peut rester un pilier solide. Dans les couloirs du Grand Hôtel Beck, ce 30 août, on pouvait sentir cette conviction partagée : malgré les difficultés, il existe une génération prête à se lever, à s’impliquer et à bâtir une Haïti plus juste et plus vivable.
