Une nouvelle étude menée par l’Université de Bâle relance le débat sur le rôle de la science fondamentale dans l’innovation. Selon cette analyse, près d’un tiers des brevets déposés aux États-Unis au cours de la dernière décennie s’appuient directement sur des travaux scientifiques, contre seulement 7 % dans les années 1980. Un bond spectaculaire qui souligne la place croissante de la recherche publique dans la compétitivité économique mondiale.
Les chercheurs suisses montrent que les brevets citant des publications scientifiques ont plus de chances d’être à fort impact, c’est-à-dire d’appartenir aux 10 % les plus cités au monde. Autrement dit, ce sont ces innovations issues de la recherche fondamentale qui transforment durablement la société.
« Trop souvent, la recherche est vue comme un coût, alors qu’elle est un investissement stratégique. » — Christian Rutzer, Université de Bâle.
Cette tendance est particulièrement marquée dans des secteurs comme l’ingénierie, où l’intégration de la recherche de pointe pourrait apporter des bénéfices considérables. En revanche, dans la pharmacie ou la chimie, déjà très dépendantes de la science, le différentiel est moins marqué.
Un paradoxe politique : coupes budgétaires malgré les preuves
Ces résultats arrivent pourtant à un moment délicat : en mars 2024, la Suisse a décidé de réduire de près de 500 millions de francs suisses (environ 516 millions d’euros) le budget de la recherche et de l’innovation pour 2025-2028. D’autres pays européens, dont la France et les Pays-Bas, ont également annoncé des coupes.
Pour Christian Rutzer, directeur adjoint de l’Université de Bâle, cette vision est problématique : « Trop souvent, la politique ne considère la recherche que comme un coût. Or, un espace scientifique de grande qualité est une condition indispensable pour un espace d’innovation de grande qualité. »
L’étude révèle que les brevets liés à la science ont un impact particulièrement fort aux États-Unis. Une avance attribuée aux liens étroits entre universités et industrie, mais aussi à une culture entrepreneuriale qui attire des talents mondiaux. À titre de comparaison, la Suisse, portée par ses sciences de la vie, est le pays européen qui enregistre la plus forte proportion de brevets scientifiques.
Horizon Europe et l’avenir de l’innovation
Ce débat est crucial alors que l’Union européenne prépare son 10e programme-cadre (FP10). Les appels à une stratégie plus ciblée sur les technologies clés pour la compétitivité européenne se multiplient. Mais l’exemple des vaccins à ARNm, issus de décennies de recherche fondamentale, rappelle qu’on ne peut prédire quelles découvertes scientifiques déboucheront sur des innovations décisives.
« Un espace scientifique de qualité est indispensable pour créer un espace d’innovation de qualité », souligne Christian Rutzer, auteur de l’étude.
Les économistes rappellent que les brevets issus de la science peuvent valoir jusqu’à 3 millions de dollars de plus que les autres dans le même domaine. Pourtant, comme le souligne l’analyste William Burns, l’innovation ne repose pas seulement sur la science récente mais aussi sur l’accumulation d’essais, d’erreurs et parfois de hasard.
Cette incertitude complique la tâche des décideurs politiques, tentés de réduire les budgets faute de résultats visibles à court terme.
Mais pour les chercheurs de Bâle, le message est clair : la recherche fondamentale n’est pas un luxe, mais un investissement stratégique. Alors que la Suisse négocie son retour dans Horizon Europe et que l’UE prépare la COP30 au Brésil, la question est désormais de savoir si les gouvernements auront le courage politique de protéger la science pour préserver l’innovation de demain.
