Ce 20 octobre 2025, la société de transport Utrasars SRL, basée à San Ignacio de Sabaneta (province de Santiago Rodríguez), a diffusé une note interne interdisant à ses chauffeurs de transporter des Haïtiens sur la ligne Santiago Rodríguez–Santiago.
Le document avertit que tout conducteur qui ne respecterait pas cette mesure serait signalé au ministère dominicain du Travail, transformant une consigne discriminatoire en menace professionnelle.
Cette interdiction, dénoncée par plusieurs défenseurs des droits humains, porte directement atteinte à la liberté de circulation et à la dignité des personnes concernées. Mais pour de nombreux observateurs, elle n’est que le symptôme d’un racisme structurel que subissent depuis des décennies des milliers d’Haïtiens et d’Haïtiennes sur le territoire dominicain.

Des discriminations banalisées
Travailleurs agricoles, ouvriers du bâtiment, domestiques ou étudiants, les Haïtiens constituent une part essentielle de la main-d’œuvre dominicaine, tout en restant les plus exposés aux abus : expulsions arbitraires, violences policières, refus de soins, humiliations publiques et dénis d’accès à certains services.
Les messages de rejet, comme celui d’Utrasars SRL, s’ajoutent à une longue liste de pratiques discriminatoires : contrôles ciblés, rafles massives, détentions sans procédure régulière. Beaucoup d’Haïtiens vivent désormais dans la peur constante d’être arrêtés ou refoulés, souvent sans possibilité de défendre leurs droits.
Pour plusieurs organisations locales, cette situation témoigne d’un climat de stigmatisation systémique, alimenté par un discours politique qui présente les migrants haïtiens comme une menace démographique ou économique.
Le silence pesant de Port-au-Prince
Face à ces dérives, l’État haïtien reste muet. Ni le ministère des Affaires étrangères, ni l’ambassade d’Haïti à Saint-Domingue n’ont réagi publiquement à cette nouvelle interdiction, pas plus qu’aux multiples abus recensés ces derniers mois.
Cette absence de réaction diplomatique renforce le sentiment d’abandon parmi les Haïtiens vivant en République dominicaine. « Nous n’avons personne pour nous défendre. On nous humilie, on nous frappe, et le gouvernement haïtien reste silencieux », confie un travailleur haïtien installé à Santiago depuis dix ans.
L’inaction de Port-au-Prince contraste avec la gravité des faits : selon plusieurs ONG, plus de 25 000 Haïtiens ont été expulsés ou rapatriés de force depuis le début de l’année 2025, souvent dans des conditions contraires au droit international.
Une question humanitaire et politique
L’affaire Utrasars SRL dépasse la simple sphère du transport : elle met en lumière la fragilité du statut des Haïtiens à l’étranger, aggravée par la crise politique et institutionnelle qui paralyse Haïti depuis plusieurs années. Sans représentation forte, sans politique migratoire claire, les ressortissants haïtiens restent seuls face à la discrimination et à la peur.
Cette vulnérabilité révèle une double responsabilité : celle des autorités dominicaines, qui laissent se multiplier les pratiques d’exclusion ; et celle de l’État haïtien, incapable de protéger ses citoyens ni de porter leur cause sur la scène régionale.
L’interdiction imposée par Utrasars SRL n’est pas un cas isolé : c’est le symptôme d’un racisme institutionnalisé et d’une indifférence politique qui fragilise des milliers de vies. À force de silence et d’inaction, l’État haïtien risque de perdre ce qu’il lui reste d’autorité morale sur la question des droits de sa propre population à l’étranger. Les Haïtiens de République dominicaine, eux, continuent d’espérer qu’un jour, leur dignité vaudra enfin plus qu’un simple communiqué.